Ending outgrowing friendships
FR
"Ceci est une ambition. C’est l’histoire de Ludmilla. Je la croise au café. Ses longs cheveux blancs sont remontés en chignon, elle porte un pantalon vert et une veste en jean un peu cintrée, 80 ans environ. Je m’assieds en terrasse, elle me sourit et très vite, nous engageons la conversation. Elle est d’origine ukrainienne, elle est partie très jeune de chez elle, elle a vécu à Londres, à Gênes, à Sarajevo et à Paris. Elle a enseigné la danse avant de devenir traductrice, a deux métiers qui consistent, au fond, à faire passer quelque chose d’un corps à l’autre, d’une langue à l’autre, d’un univers à l’autre. Nous parlons de voyages et d’exils, du temps qui passe et du temps qui nourrit. A un moment, je lui demande quel est le secret de sa longévité, comment fait-elle pour conserver intacte son air espiègle ? Elle me répond qu’elle s’est exercée toute sa vie à ne fréquenter que des gens qui la font se sentir lumineuse. Qu’elle a parfois dû faire des choix drastiques pour ne pas déroger à cette règle, mais que c’est sans doute cela qui lui a permis de toujours agrandir sa vie et de solidifier sa confiance. « A chaque moment passé avec quelqu’un, demande-toi dans quel état il te fait sentir, si le quittant tu te caches, si tu as honte de ce que tu penses ou de ce que tu es, surtout, va-t’en avant que sa noirceur devienne la tienne ». Elle ajoute, les yeux pétillants : « Tu sais, j’ai 80 ans, et je n’ai toujours pas compris pourquoi certaines personnes choisissent de vivre à genoux ». En la saluant pour lui dire au revoir, je me suis dit que je me souviendrai longtemps de ses mots car au fond, dans beaucoup de nos sphères, nous nous laissons gouverner par ceux qui nous amoindrissent, nous leur faisons de la place, nous nous laissons toucher par leurs paroles. Sans doute aurions-nous une rentrée plus apaisée si nous étions capables d’appliquer le conseil de Ludmilla. Si nous osions nous demander : qui me fait me sentir plus vivant après l’avoir quitté ? Et qui, au contraire, me laisse avec cette étrange sensation d’avoir perdu quelque chose de moi-même ? Je vous souhaite de vous souvenir de Ludmilla." Marie Robert
EN
"This is an ambition. It’s the story of Ludmilla.
I meet her at a café. Her long white hair is tied up in a bun, she wears green trousers and a slightly fitted denim jacket. She must be around 80. I sit down on the terrace, she smiles at me, and very quickly we start talking. She is of Ukrainian origin. She left home very young and has lived in London, Genoa, Sarajevo, and Paris. She taught dance before becoming a translator — two professions that, in the end, both consist in passing something on: from one body to another, from one language to another, from one world to another. We talk about travels and exiles, about time that passes and time that nourishes. At one point, I ask her what the secret of her longevity is, how she manages to keep that mischievous sparkle. She answers that she has trained her whole life to only surround herself with people who make her feel luminous. That sometimes she had to make drastic choices not to betray this rule, but that it is probably what has allowed her to always expand her life and strengthen her confidence. “At every moment spent with someone, ask yourself in what state they leave you. If, when leaving them, you hide yourself, if you are ashamed of what you think or of who you are — above all, walk away before their darkness becomes yours.” Then, with sparkling eyes, she adds: “You know, I’m 80 years old, and I still haven’t understood why some people choose to live on their knees.” As I said goodbye, I told myself I would remember her words for a long time. Because, deep down, in many of our circles, we allow ourselves to be governed by those who diminish us. We give them space; we let their words touch us. Perhaps we would have a calmer rentrée if we were able to apply Ludmilla’s advice. If we dared to ask ourselves: who makes me feel more alive after I leave them? And who, on the contrary, leaves me with that strange feeling of having lost a piece of myself? I wish you to remember Ludmilla." Marie Robert